Modèle théorique d’un réseau des chemins, Slovénie
La 2024 s’annonce bien, le projet qu’on a proposé avec les collegues slovènes et français a reçu feu vert. Financé par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangers, d’une part, et le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Science et de l’Innovation du côté slovène, le programme Poteus est dédié aux developpement de nouveau reseaux collaboratifs scientifiques (www.campusfrance.org/fr/proteus). La suite du billet est reprise de la proposition :
Paths&Pathways Project
La mobilité des femmes et des hommes, mais aussi des animaux et des biens échangés, constitue une problématique clé dans la recherche sur les sociétés anciennes. Aujourd’hui, la question s’impose d’autant plus que les analyses chimiques et biochimiques permettent des avancées considérables. Le séquençage ADN, de même que la détection de diverses signatures chimiques permettent de retracer les déplacements des populations et des objets à très longues distances.
Cette problématique est particulièrement prégnante pour l’époque protohistorique en Europe (IIe et Ier millénaires av. n. è.). Un vaste réseau d’échanges et contacts s’est installé en Europe dès cette époque, amenant métaux, esclaves ou ambre scandinave en Égée, contre des produits méditerranéens, souvent de luxe (vaisselle de table, vin, verre, etc.). Cependant, le fonctionnement de ce réseau d’échanges reste très mal compris, particulièrement à cause du manque d’informations sur les infrastructures et les pratiques sociales de mobilité.
Effacés par le passage du temps, les chemins protohistoriques se sont montrés insaisissables pour les archéologues. Les déplacements nomades et pastoraux, au gré desquels vivaient tant de populations préhistoriques, n’avaient guère besoin d’infrastructure lourde ayant pu laisser des traces visibles aujourd’hui. L’absence d’aménagements d’envergure pour ces époques très anciennes rend leur existence en un lieu donnée difficile à démontrer, en dehors des rares sites particulièrement bien conservés ; ainsi, les archéologues manquent d’éléments pour reconstituer les réseaux de communication et même pour comprendre les destinations visées.
Le projet Paths&Pathways abordera la problématique des réseaux de communication protohistoriques en utilisant la simulation numérique, appliquée au cas d’étude dans la Dolenjska (sud-est de la Slovénie). Les approches computationnelles constituent un nouveau domaine de recherche en archéologie, transversal et très novateur, qui se déploie à la croisée de l’étude historique, de la géographie quantitative et de l’algorithmique numérique. Il est ainsi possible de simuler les parcours pastoraux ou le transport des biens en prenant en compte divers paramètres écologiques, géographiques et culturels.
La Dolenjska (sud-est de la Slovénie) est une région particulièrement riche en témoins d’occupation de l’âge du Fer, entre le VIIIe et Ier s. av. n. e. A cette époque, la petite région située dans la zone de contact entre l’espace méditerranéen et le Bassin des Carpates, s’est trouvé sur un point clé des échanges commerciaux ; en témoignent les objets importés de la péninsule italienne (poterie, verre, bijoux) et des régions de la plaine Danubienne (vaisselle métallique, parure, armes). Un réseau de larges sites fortifiés s’est formé à cette époque, ce qui laisse envisager l’émergence de pouvoirs territoriaux. Qui plus est, les productions artistiques, représentant des scènes des banquets, des processions ou des combats, révèlent la vie d’une élite puissante. Issue de plus d’un demi-siècle de recherche intensive, la documentation archéologique est particulièrement exhaustive pour la région (1). Néanmoins, les chemins et les réseaux de communication restent pratiquement inconnus, malgré leur rôle incontestable comme levier des pouvoirs
territoriaux et commerciaux. Leurs vestiges archéologiques se résument à ce jour à un tronçon de voie avérée, menant vraisemblablement vers un habitat fortifié.
L’approche du projet Paths&Pathways s’insère dans le sillon des recherches par modélisation numérique en archéologie, notamment la simulation des cheminements optimaux (2). Plus particulièrement notre approche s’inspirera de la méthode de « mobilité focale » (3). Il s’agit de simuler des milliers ou des millions de parcours dans un espace donné afin de faire ressortir les passages les plus probablement empruntés, étant donné un ensemble de paramètres décrivant la difficulté du terrain. Mis en oeuvre sur la région de Dolenjska, cette méthode permettra d’étudier diverses pratiques de mobilité (déplacement à pied, transport véhiculé, passages pastoraux, etc.), ainsi que le rôle de différents paramètres environnementaux (humidité de terrain, contrôle visuel, substrat géologique). Chaque model résultant, c’est-à-dire chaque réseau de communication théorique, sera comparé avec la distribution spatiale des habitats et des nécropoles.
Une approche supplémentaire qui sera déployée au cours du projet consiste en utilisation des données topographiques à haute précision, à savoir des données lidar (scan topographique à l’aide de rayons laser). Ces données sont en libre accès pour l’ensemble de la Slovénie. Ce n’est que récemment que les archéologues slovènes ont commencé à utiliser ces données pour l’analyse de la mobilité historique, notamment en cartographiant les traces des voies et des chemins anciens (4). Il est donc très tentant de comparer les résultats des modélisations avec les traces des voies historiques. La datation de la plupart de ces traces est inconnue et peu vraisemblablement protohistorique, mais leur position topographique générale épouse parfois les passages actifs dès la protohistoire (5). De même, les voies et chemins de chronologie inconnue peuvent fournir des informations pertinentes sur le caractère général des communications empruntées par les moyens traditionnels (à pied ou avec les animaux de bas), pour cerner certains éléments intéressants, tels les pentes maximales engagées, le franchissement des zones humides ou le contrôle visuel.
Les objectifs du projet Paths&Pathways peuvent ainsi être résumés de la manière suivante :
- développer une méthodologie pour l’analyse des réseaux de communication anciens, en s’appuyant fortement sur les approches par calcul algorithmique (simulation des parcours, modélisation de la perméabilité environnementale au mouvement).
- constituer un réseau de chercheurs autour du thème de la mobilité dans les sociétés anciennes et obtenir des résultats originaux grâce à cette recherche collaborative.
- augmenter la visibilité de ces recherches afin d’être en position de concourir pour un projet à l’échelle européenne (financé par l’ERC par exemple).
Références
1) Dular, J., & Tecco-Hvala, S. (2007). South-Eastern Slovenia in the Early Iron Age: settlement, economy, society / Jugovzhodna Slovenija v starejši železni dobi: poselitev, gospodarstvo, družba. Opera Instituti Archaeologici Sloveniae, 12. Ljubljana : Inštitut za arheologijo ZRC SAZU, Založba ZRC.
2) Verhagen, P., L. Nuninger & M.R. Groenhuijzen (2019). Modelling of Pathways and Movement Networks in Archaeology: An Overview of Current Approaches. In: Verhagen P., Joyce J., Groenhuijzen M. (eds) Finding the Limits of the Limes, pp. 217-249.
3) Llobera, Fábrega-Álvarez, Parcero-Oubiña (2011) : « Order in movement: a GIS approach to accessibility », Journal of Archaeological Science 38 843-851).
4) Mlekuž, D. : « Roads to nowhere? Disentangling meshworks of holloways ». In Z. Czajlik and A. Böd?cs (eds) Aerial Archaeology and Remote Sensing from The Baltic to The Adriatic. Budapest 2013, 37–41.
5) par ex. Martínek et Bíl : « The Geomorphological Effects of Old Routes » 19th European Geosciences
Union (EGU) Assembly, Vienna 2017.