Le réseau de parcellaire qui recouvre les campagnes agricoles et pastorales est un sujet particulièrement cher aux archéologues du paysage. Les haies, les chemins, les murets et autres structures qui délimitent les champs cultivés et les pâturages ont parfois une persistance temporelle étonnante : le parcellaire de Hvar, en Croatie, est ancien plus de deux millénaires.
Cet été j’ai eu l’occasion de découvrir les montagnes de Cantal. La nature est magnifique, mais aussi le potentiel pour archéologie du paysage. Les « planèzes » des hauteurs (à partir de 1000 mètres d’altitude) sont dédiées au pâturage extensif, ce qui a la vertu de dégager le paysage sans un impact destructeur sur les vestiges anciens.
Quelques heures procrastinés devant Google Earth m’ont permis de trouver plusieurs bels exemples d’anciens parcellaires cantaliens. Je n’aborderai pas ici des questions scientifiques approfondies, à savoir qui et quand a pu produire ces paysages ; je profiterai plutôt de mes trouvailles digitales pour une introduction générale à l’étude des parcellaires. Quelles sont les premières observations qui nous permettront d’amorcer une étude des parcellaires ?
Verticalité et horizontalité : deux principes de base
Les tailles des parcelles, leurs formes et leur position topographique peuvent nous informer sur le type d’agriculture qu’elles abritaient. Chaque usage spécifique, telle la culture de la vigne, des céréales ou l’élevage de moutons, a ces propres besoins en termes de taille des lots et de leur position topographique. L’élevage bovin est organisé dans des terrains larges et bien clôtures, tandis que les vignerons cherchent souvent les parcelles sur la pente, bien ensoleillées.
Les usages et les techniques agricoles traditionnels sont très divers, le sujet est inépuisable, mais de manière générale l’observation de la disposition topographique d’un réseau parcellaire permet de distinguer entre la vocation pastorale et agricole. Le problème fondamental pour l’organisation du paysage pastoral est celui d’accès, aussi bien aux points d’abreuvement qu’aux différentes zones de pâture. Un élément très caractéristique sont les chemins bordées des murs en pierre sèche qui canalisent le mouvement des troupeaux. La trame de parcellaire est souvent dominée par les composantes verticales, on repère ainsi régulièrement les grandes divisions entre les pâturages communaux qui sectionnent les pentes. Cette organisation peut s’expliquer par la volonté d’assurer un accès équitable aux différentes zones écologiques et aux points d’abreuvement, plus fréquents dans les zones basses. Même les petites parcelles sont assez souvent allongées dans le sens de la pente, possiblement à cause d’un même souci de partage équitable des ressources. Une excellente illustration de ce principe sont les divisons qui convergent vers les abreuvages (« lokve ») de l’île de Krk (Croatie) : chaque parcelle devrait avoir l’accès à l’eau (en principe au moins).
L’organisation du paysage agricole, par contre, évolue suivant d’autres préoccupations. L’agriculture exige le plus souvent des terrains à faible pente, ce qui aura pour conséquence la dominance des composantes horizontales dans les zones sur la pente. Les parcelles seront, ainsi, disposées perpendiculairement au sens de la pente et, si besoin, aplanies par le terrassement. Les terrasses peuvent apparaitre naturellement, au fil d’usage, si on travaille plus en profondeur sur les parties hautes des parcelles. Ce dispositif est connu comme rideau de culture (figure en bas). Ceci dit, les champs très allongés sont également très fréquents dans la plaine, ces « champs laniérés » s’expliquent par la difficulté de retourner la charrue à la fin du sillon. On préfère de faire autant de labour que possible d’un seul trait.
Résumons cette introduction en éclair : le plus important à retenir est qu’un réseau parcellaire évolue privilégiant le principe de verticalité ou d’horizontalité (quand situé dans une zone sur la pente). Certes, rien n’interdit à une économie agricole de s’organiser dans les parcelles parallèles au sens de la pente, ou inversement à une communauté pastorale d’installer les clôtures perpendiculairement au sens de la pente. Or, les terrains plats demandent moins d’énergie pour le travail de terre ; en plus les terrasses ralentissent l’écoulement d’eau et l’érosion. Le bétail aura besoin de descendre dans la vallée pour l’abreuvement. La disposition topographique des parcellaires va, ainsi, évoluer naturellement vers une verticalité ou horizontalité selon le mode d’exploitation.
Parcellaires fossiles du Cantal
La faible empreinte de l’élevage contemporain (et historique) a permis la conservation extraordinaire des vestiges archéologiques sur les hauteurs du Cantal, dont également les parcellaires. Les structures archéologiques peuvent être aperçues sur les clichés aériens ensemble avec les paysages agro-pastoraux qui les accompagnaient. J’utilise ici Google Earth, le moyen le plus simple d’examiner les traces des parcellaires toujours visibles dans le paysage.
L’habitat médiéval de Mont Chastel à Vèze est bien visible sur la droite de l’image (les fossés, les traces des murs etc.). Le parcellaire régulier implanté sur la crête douce qui mène au site semble axé sur l’entrée à la zone fortifiée. On observe la disposition verticale des parcelles, leur régularité et les traces probables des murets de part et d’autre du chemin axial. Une trace possible d’un chemin d’accès à la fortification traverse les lotissements de manière oblique : il pourrait s’agir d’un dispositif plus ancien que le parcellaire. Le lotissement a dû être fait, dans ce cas, lors d’une phase tardive d’évolution du site.
Le principe vertical est encore mieux visible sur ce parcellaire qui rayonne depuis un chemin bordé des murs en pierre sèche, pour descendre la pente douce. Un deuxième chemin a pu desservir les bordures basses des parcelles, mais il est peu visible sur l’image.
Encore un parcellaire du même type : petits lotissements allongés et organisées autour des chemins d’accès. Ici encore on remarque la régularité étonnante des parcelles, indice que le système a évolué peu depuis le premier lotissement, conduit suivant un principe d’équité. En théorie ce parcellaire a donc dû être utilisé peu et pendant un temps plutôt court. Or, un système d’enclos pastoraux (si c’était la fonction de ce dispositif) ne supporte pas bien les découpages aléatoires (voir l’exemple de l’île de Pag, plus haut) : un dispositif équilibré a également pu être maintenu en état pendant une période plutôt longue.
On s’attend certainement aux systèmes de parcellaire dédiés à l’élevage sur les hauteurs au-dessus de 1000 mètres d’altitude, mais on trouve des traces assez clairs de l’agriculture historique au-delà de cette limite. Ici apparaissent assez clairement les rideaux de culture, accrochés à la pente qui monte à 1200 mètres.
Plus en hauteur, à près de 1300 mètres d’altitude, apparaissent des traces assez vagues – donc hypothétiques – des labours agricoles. Ces indices, toujours sur le secteur de Vèze, sont à vérifier…
Il reste tant d’autres choses à découvrir sur les paysages pastoraux et agricoles des planèzes de Cantal ! Je n’entreprends pas ici une étude scientifique, je profite seulement de cette zone exceptionnelle pour illustrer quelques principes de base de l’analyse des parcellaires historiques. En France, l’étude historique des trames de parcellaire est aujourd’hui associée en particulier avec l’école d’archéogéographie (voir plus bas). Cependant, des scientifiques travaillant sur des sujets très variés s’intéressent aux parcellaires anciens : les géologues qui étudient, par exemple, l’érosion historique, les historiens et les archéologues évidemment, les environnementalistes qui étudient le couvert végétal ancien, enfin ceux travaillant sur l’écologie humaine, discipline qui examine l’impact (positif ou négatif) de l’homme sur le milieu naturel.
Approfondissements
Introduction en étude des parcellaires historiques : historicengland.org.uk.
Archéogéographie, par Magalie Watteaux.
Trame foncière : www.arturbain.fr.
Enfin, un vieux ouvrage oublié, mais fantastique : Découverte aérienne du monde par Paul Chombart de Lauwe et alii.